Que cela signifie-t-il d’entrer dans la tête de quelqu’un ? Comment anticiper ses comportements, comprendre ce dont il a besoin ou encore les mécanismes qui se mettent en place dans son cerveau ?
Voilà les questions que l’on se pose quand on s’intéresse à l’expérience utilisateur – UX, de l’anglais User eXperience – ce qui est le cas de nombreuses entreprises. Nul besoin d’être un client ou un consommateur pour en être la cible. C’est même à un niveau industriel, au cœur des lignes de production, que j’ai découvert que des ingénieurs travaillaient sur le sujet.
Aujourd’hui, nous vous présentons Christophe, Ingénieur d’études et de développement depuis 18 ans et qui est passionné de psychologie humaine. Au cours de notre échange, il m’a partagé dans quelle mesure la compréhension du cerveau humain était aussi importante, pour lui, que ses compétences informatiques pour mener à bien ses missions.
Un homme aux multiples facettes
S’il est aujourd’hui à la fois passionné par la psychologie et l’informatique, Christophe a commencé avec un double attrait pour l’informatique et l’électronique.
Doué de ses mains, il se dirige naturellement vers l’électromécanique après le lycée. Lors de cette formation, il se découvre attiré aussi par la programmation grâce à des cours de dessin assisté par ordinateur (DAO). Il retombe alors dans l’informatique et décide de poursuivre ses études en GRADUAT Robotique, équivalent de nos jours à un bachelor ou à une licence.
Lorsqu’ensuite il démarre sa carrière, notre jeune diplômé découvre que ce qu’il aime vraiment dans son métier, c’est d’apporter de la plus-value aux gens qui sont sur le terrain.
Cultiver l’empathie et la pédagogie
Son expérience la plus marquante – et la plus difficile – sur le sujet est celle qu’il a vécu au sein d’INDUSTEEL ARCELOR. Il a alors pour mission d’uniformiser et d’automatiser des lignes de production au sein d’un même logiciel. En tout, ce sont 7 lignes de production, toutes différentes, qu’il faut pouvoir afficher uniformément aux utilisateurs – qui sont les techniciens d’ARCELOR.
Le défi est de simplifier au maximum les manipulations lors de la configuration. En somme, créer un logiciel unique alors que jusque-là le logiciel gérait chaque ligne de manière indépendante.
C’est ici que l’UX entre en scène. Il a fallu pour Christophe entrer dans la tête de l’utilisateur et comprendre ce qu’il voulait en fonction de sa façon de travailler. Ceci afin que les techniciens ne perdent pas de temps et ne soient pas perturbés. 6 mois d’analyse et de discussion vont être nécessaires à Christophe pour comprendre comment chacun travaille afin que l’outil s’adapte aux techniciens sans qu’ils aient à se former de nouveau.
Il va passer des heures dans leur cabine à analyser leurs tâches et leur métier. Avec leurs horaires en 3×8, notre ingénieur passe des journées et des soirées à les regarder et à leur poser des questions. Les techniciens aussi le questionnent beaucoup, craignant les changements à venir.
Christophe a au final réussi à développer un logiciel qui combinait l’existant – pour ne pas perturber les opérateurs – et des solutions nouvelles – pour offrir l’uniformité recherchée.
Cette expérience fut extraordinaire pour lui, car c’est là qu’il a compris que chaque technicien a sa façon de travailler et ses singularités, ce qui rend les compromis inévitables.
Lorsqu’il a dû modifier certains paramètres dans le logiciel final, il a fait preuve de pédagogie pour apprendre aux équipes les évolutions dans leurs manipulations. C’est ici que l’on saisit qu’une partie importante de son travail est constitué de psychologie humaine et de communication : il faut rassurer chacun et faire accepter le changement.
Le dialogue, clé de succès et de réussite des projets
En janvier 2005, il est envoyé en Iran car une ligne de production d’une usine de production métallurgique, rencontre des difficultés avec la bande de métal, qui explose à chaque fois qu’elle passe dans la ligne.
À cette époque, Christophe développe l’outil informatique qui permet de calculer l’épaisseur de la bande de métal de ce rouleau. Il est donc missionné pour résoudre ce problème de communication informatique dont le chef de ligne n’a aucune idée de l’origine. Problème qui n’est pas anodin puisqu’à chaque fois qu’une bande explose, cela coute des milliers d’euros à l’entreprise dû à l’arrêt de la ligne de production.
Après une semaine à lire des lignes de LOG, Christophe finit par comprendre que le problème vient de la communication. En d’autres termes, le protocole n’est pas respecté par les techniciens. On peut comparer le protocole au code de la route : si on ne s’y soumet pas, on prend de grands risques d’avoir des accidents. C’est ce qui arrive au rouleau puisque les étapes ne sont pas suivies pour mener à bien chaque opération.
Le chef de ligne ne veut pas admettre que le problème vient de ses équipes. Ce dernier étant plus âgé et plus expérimenté que Christophe, qui, à ce moment-là n’a que 24 ans, il remet en doute son diagnostic et lui demande de changer le protocole. Chose évidemment impossible pour Christophe puisque le problème vient de leur côté, la solution est entre leurs mains également. Les techniciens doivent opérer quelques changements dans leur façon de faire.
Le chef de ligne ne cède pas et Christophe est presque sur le point de partir en validant que le problème vient du protocole et qu’il ne peut rien y faire. Il est cependant bloqué car c’est le chef qui a son passeport et ce dernier n’a aucune intention de lui rendre tant que le problème n’est pas résolu.
Notre consultant belge va donc faire preuve de patience pour trouver une solution. Il prend le temps de discuter avec les équipes et fait même venir la direction jusqu’à la ligne de production défaillante. Cela lui permettra de les convaincre du bien-fondé de son diagnostic et l’entreprise accepte de revoir ses méthodes pour suivre le protocole dans les règles.
Cette expérience marquera Christophe pour longtemps puisqu’il réalise que le plus important lors des conflits de ce type est de ne pas rompre le dialogue. C’est la clé d’une communication efficace. Christophe se découvre patient, diplomate et persévérant.
Les années suivantes et grâce à d’autres missions, il aura l’opportunité de résolument affirmer ces qualités. Il se découvre une passion pour la psychologie et commence à étudier le sujet au travers de livres. Il sait comment gérer le dialogue et faire passer des messages. Il me donne quelques secrets de son approche.
Par exemple, il m’explique comment faire changer d’avis un interlocuteur lors d’une discussion d’abord en accusant réception de son point de vue puis en lui laissant voir une autre façon de faire. Avec la bonne communication, directe et non verbale, vous pouvez même faire en sorte que votre interlocuteur s’approprie l’idée et la fasse sienne.
Il a conscience que dans son travail, le dialogue représente 60% du temps. Dernièrement, il travaille sur un projet autour du logiciel des permis de conduire au sein de la Police Fédérale de Bruxelles.
UX et psychologie sont au cœur de cette mission où Christophe organise des réunions avec les utilisateurs ainsi qu’avec les équipes internes. Il mène des séances de test afin de récolter les résultats et d’apporter des modifications à l’interface du logiciel.
Christophe est en fait au croisement de tout, il a les retours de chacun, ce qui lui permet d’être un pilier pour prendre en compte tous les besoins.
Un équilibre à trouver entre l’humain et l’IT
Ce goût pour l’humain et la communication lui donne envie de développer ses capacités managériales. Il souhaite faire plus de place à la gestion des équipes et réduire celle consacrée au développement et aux aspects techniques.
Toutefois, sa crainte est que le développement lui manque. Il a en effet déjà tenté l’expérience il y a quelques années alors qu’il avait pris une année pour faire le point sur sa carrière, après la naissance de son fils. Il avait besoin de changer de technologies et de faire un projet pour lui.
Il a donc développé un logiciel de gestion pour sa fédération de billard qui permettait d’accéder aux statistiques des joueurs, leur classement, leurs évolutions, le calendrier des matche, etc. Bien que les joueurs n’aient pas adhéré tout de suite à l’outil, il a été finalement complètement adopté par tous et même utilisé par 3 autres fédérations de la région.
Christophe est à la recherche d’un équilibre entre l’humain et l’IT. En effet, Il sait que faire uniquement du développement est impossible de fait. Son métier n’est alors pas complet ; il l’a prouvé par ses expériences où psychologie humaine et nouvelles technologies coexistent obligatoirement pour faire aboutir les projets.
En même temps, s’il arrêtait de développer pour être exclusivement dans la gestion humaine, l’ingénierie lui manquerait rapidement. Son épanouissement ne serait pas entier.
Christophe a besoin de développer et de produire. Trouver des solutions. Il est très actif et ne peut pas rester à rien faire. Il se tient toujours informé sur les dernières tendances et les nouvelles technologies.
Le challenge étant son leitmotiv, il est prêt à s’investir dans des secteurs qu’il ne connait pas ou peu, quel que soit le produit ou l’entreprise. Nous avons d’ores et déjà repris rendez-vous pour qu’il me raconte ses futures expériences.
